Développement ou dépistage des talents? Donnons une chance aux enfants
La sélection des joueurs pour l’équipe régionale a lieu la semaine prochaine et l’entraîneur de votre enfant ne cesse d’encenser le fait de pouvoir jouer dans cette super équipe avec la crème des joueurs. Il y a le prestige, le statut, et bien plus encore, dit-il en ajoutant que c’est là la meilleure façon de devenir un pro.
Wow! L’idée est excitante. Il suffit que votre enfant joue dans cette équipe, vous assure encore l’entraîneur, pour qu’il se hisse au sommet, parmi l’élite des joueurs professionnels de hockey (ou de soccer, ou de basketball, ou de tennis, ou encore du jeu de puce… ou quel que soit le sport).
En fait, il n’y a qu’un léger problème avec ce plan : les enfants de cette équipe n’ont que neuf ans. La semaine prochaine, l’entraîneur se trouvera donc à déterminer les « espoirs de demain » parmi un groupe d’enfants qui n’ont même pas encore commencé leur poussée de croissance.
C’est tout simplement mission impossible.
Ou, pour le dire plus gentiment, une mission impossible à réaliser de manière fiable. Comme le montrent bien les programmes de développement des talents d’un peu partout sur la planète, il est impossible de prédire un futur « talent » en mesurant la force, la vitesse, l’habileté et la capacité à prendre des décisions d’un joueur avant qu’il ne soit parvenu à l’adolescence, soit entre 14 et 20 ans en règle générale.
Rien ne sert de courir…
D’accord, Wayne Gretzky s’est révélé tôt au hockey. Et on peut en dire autant de Lionel Messi au soccer. Mais ils constituent l’exception, pas la règle. Il existe bien davantage de grandes vedettes qui se sont révélées plus tard, et parfois même après avoir été écartées des équipes d’élite ou des programmes de développement des talents juniors alors qu’ils étaient enfants.
Le monde du soccer et celui du basketball présentent de nombreux exemples d’athlètes d’envergure qui ont été écartés d’équipes juniors parce qu’ils étaient trop petits, trop lents ou parce qu’ils ne semblaient pas assez doués. Mais ils se sont accrochés, ont persévéré et ont finalement eu la chance d’être « découverts ». Owen Hargreaves, le joueur canadien devenu une vedette du soccer en Angleterre en est d’ailleurs un excellent exemple.
En fait, dans la plupart des histoires à propos de ces « vedettes tardives », on apprend que ces athlètes étaient mis de côté à l’adolescence. Voilà qui soulève une importante question :
S’il nous est difficile de reconnaître de manière fiable les futurs talents parmi les adolescents, comment pouvons-nous imaginer être capables de dépister les talents dans un groupe d’enfants de neuf ans?
Dépister les talents : une tâche difficile
La plus grande difficulté lorsque vient le temps de dépister les enfants talentueux a trait à l’âge relatif et à l’âge de développement. Si votre enfant a un âge relatif ou un âge de développement moins élevé que les autres enfants du groupe, il paraîtra moins habile et moins doué que ses pairs uniquement parce qu’il est moins fort, moins rapide et moins athlétique à cet âge et à ce stade de son développement.
En réalité toutefois, rien ne dit que votre enfant n’a pas le potentiel pour devenir le plus grand athlète de tous les temps lorsqu’il aura 18 ans. Le tout est de savoir si on aura la chance de s’en rendre compte. S’il est mis de côté dès l’âge de neuf ans, et par conséquent relégué dans de piètres programmes, avec un suivi insuffisant et un entraînement inadéquat, il ne pourra tirer le meilleur des années les plus importantes de son développement. Peut-être même sera-t-il tenté d’abandonner complètement son sport. Qui sait alors ce que ce sport aura perdu.
Mettre l’accent sur le développement des talents
Le piège du dépistage précoce des talents sportifs peut aisément être évité si l’on adopte plutôt une démarche de développement des talents. Plutôt que de chercher à repérer les enfants talentueux dans des groupes d’âge de 8, 9 ou 10 ans, le programme idéal vise à donner à chaque enfant un excellent encadrement et un temps de jeu équivalent sur le terrain, et remet à plus tard l’évaluation de leurs capacités.
Au soccer, par exemple, les pays qui misent davantage sur le développement, comme l’Allemagne et la Hollande, le dépistage des joueurs talentueux ne commencent qu’aux alentours de 11 ans. Et ils ne mettent pas les autres enfants de côté. Ils continuent de leur offrir la chance de jouer et de s’améliorer. Et qui sait, de faire leurs preuves un peu plus tard. Ils ont compris que le temps joue en leur faveur, que ces enfants ont encore l’occasion de grandir, de se développer et de changer au cours de leur adolescence.
Équipe de haut niveau : aide ou obstacle pour le développement?
Faire partie d’une équipe performante peut et devrait être une part intégrante du processus de développement sportif des enfants. La question est de savoir quand cela doit commencer.
Dans la plupart des sports, le dépistage du talent sportif devient fiable lorsque les enfants entrent dans l’adolescence et commencent à prendre une certaine maturité physique, émotionnelle, cognitive et sociale. Et c’est une bonne façon pour les enfants possiblement doués qui veulent se dépasser de faire l’expérience de la compétition et de ses exigences croissantes.
Mais qu’en est-il des autres enfants? À la lumière du nombre d’athlètes qui ne se sont révélés que plus tard à l’adolescence, voire dans quelques cas autour de la vingtaine, il est tout à fait pertinent de continuer à offrir à chaque enfant qui désire jouer et s’améliorer des entraînements de qualité et la possibilité de jouer. Cette façon de voir le sport constitue la clé de voûte du modèle basé sur le développement à long terme de l’athlète.
Personne ne voudrait rejeter une future vedette avant même qu’elle n’ait eu le temps de briller. De la même façon, qui voudrait balayer du revers de la main un enfant qui n’a pas « passé l’examen » à l’âge de neuf ans? Ce serait couper l’herbe sous le pied d’un enfant, mais aussi, peut-être, priver le jeu d’un futur grand athlète.